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Les Fabriques d’instruments du quatuor en Europe aux XIXe et XXe siècles

Baptiste Argouarc'h

Neuner & HornsteinerMittenwald

La firme est fondée à Mittenwald au début du XIXe siècle par ces deux familles, établies dans cette ville depuis plusieurs générations.

 

Les fondateurs sont Mathias Neuner IV et Cantius Hornsteiner. On retiendra le nom de Anton Seiz alors chef d’atelier. Les plus beaux exemples de cette fabrique lui sont attribués. Il s’agit à l’époque d’un seul atelier, mais la volonté de production “industrielle” qui est une notion encore assez neuve à l’époque, se matérialise dans la fusion des 2 familles.

 

Johan Neuner III, 1809-1883 (pas d’information claire sur le lien de parenté avec Neuner IV, frère?) Il devient directeur de la firme.

 

Ludwig Neuner, 1840-1897

Avant de reprendre les rennes de l’entreprise familiale, il ira apprendre le métier, d’abord à Munich, puis à Vienne chez Gabriel Lemböck (élève de Geissenhof) enfin dans l’atelier de JB Vuillaume à Paris de 1861 à 1867. À son retour, Ludwig va faire grandir l’entreprise jusqu’à compter 200 ouvriers.

 

Hans Neuner, 1878-1934

Il succède à son père Ludwig.

La succession des deux guerres mondiales et la crise économique de l’entre deux guerre mettra un frein au

succès d’une entreprise vieille d’un petit siècle.

Violon fait vers 1820, le contour de cet instrument est carractéristique du modèle employé dans cette

fabrique. Le travail est très soigné et le vernis épais et craquelé noircit et s’use vite.

 

Les fabriques de Markneukirchen ou les instruments “Bohémiens”

 

Une industrie décentralisée

 

Vers 1840, Markneukirchen devient le coeur d’une industrie monumentale de lutherie. Des milliers d’artisans indépendants et qualifiés sont à la production, des deux cotés de la frontière Bohème et Saxe, tous dépendants les uns des autres pour la fabrication des parties. Les pièces détachées manufacturées viennent surtout de Bohème et de la région de Graslitz. De l’autre côté, Markneukirchen bénéficie de sa bonne connection avec les ports du Nord de l’Allemagne et s’arroge l’aspect commercial et l’assemblage des pièces détachées. Les instruments sont ensuite transmis aux marchands.

 

La quantité d’instruments produits permet des prix hors concurrence; les instruments sont vendus à la douzaine. La réputation de cette manufacture est plutôt mauvaise déjà à l’époque et l’ensemble des luthiers allemands (+-250) se donnent le titre de kunstgeigenbauer pour se démarquer de ces instruments qu’ils appellent eux-même “Duzengeigen”.

 

Pourtant ces luthiers de qualité sont dépendants de Markneukirchen pour la fourniture des pièces, des

accessoires et même souvent d’instruments finis.

 

Les fabriques de Markneukirchen

 

Production annuelle estimée à la fin du 19ème siècle:

- 150.000 violons

- 400.000 archets

Tous faits main.

 

Cela représente alors:

- 50% de la demande mondiale pour les instruments à archet

- 90% de la demande mondiale pour les cordes

Sur les 8000 habitants que compte Markneukirchen à l’époque, il y a déjà une bonne douzaine de millionnaires. Les USA implantent un bureau de douane dans le centre-ville pour faciliter l’administration pour l’export.

À partir de 1870, certains luthiers décident de travailler avec un bois de meilleure qualité et se qualifient à leur tour de kunstgeigenbauer, surtout pour relever les prix de vente qui sont extremement bas. Comme chez JTL, ils font la promotion de leurs instruments via la publication de catalogues. Ils copient les grands maitres italiens, avec les techniques locales et apposent des étiquettes fac-simile italiennes.

Les plus connus sont :

- H.L. Glaesel Jr 1842- 1922

- Arnold Voigt 1864- 1952

- E. H. Roth 1877- 1948

- A.P. Dorfel 1878- 1967

- Paul Knorr 1882 - 1977

 

La première guerre mondiale met brutalement fin à cet “âge d’or” de l’industrie du violon en Bohème. La grande dépression économique qui s’ensuit empêchera le secteur de redécoller. À la chute du rideau de fer Markneukirchen se trouve en Allemagne, coupée de la région de Schönbach (Luby, devenue

tchèque). Les luthiers germanophones doivent quitter Luby et beaucoup d’entre eux s’installent à Bubenreuth en Bavière et relancent leur industrie, active jusqu’à aujourd’hui.

Violon fait dans la deuxième moitié du XIXème. Les voûtes sont une carricature de J.Stainer. le vernis

est très brillant et une forte odeur de résine se dégage en le nettoyant. La patine est un peu grossière. 

Les bords sont arrondis ne laissant plus d’arrête visible. Les becs d’éclisses sont joints sans biseau,

probablement de par la technique du moule extérieur. Le noir des filets est souvent peu intense, tirant vers le vert.

 

L’atelier MonzinoMilano

La maison Monzino est au départ un magasin d’instruments de musique divers et de partitions implanté dans le centre de Milan.

 

Antonio III, 1847-1930

Il est le fils d’ Antonio II à qui il succède en 1872 . Il décide de se concentrer sur les instruments à cordes frottées et emploie deux ouvriers en 1900: Roméo et Riccardo Antoniazzi (fils de Gaetano, élève de Ceruti).

La petite usine participe à de nombreux concours et gagne peu à peu en reconnaissance. La maison

Monzino continue cependant ses activités de magasin de musique, vente et réparations. La maison compte un grand nombre d’ouvriers.

 

Antonio IV reprend la firme mais meurt au cours de la seconde guerre mondiale.

Antonio V (1909-?) bénéficie d’un apprentissage, d’abord à Mittenwald puis à Mirecourt; il revient ensuite à Milan, fabrique quelques violons et reprend le magasin familial.

 

Violon fait vers 1900. Le modèle est typique de celui employé par les frères Antoniazzi. La facture est cependant de bien moindre qualité. Le bois est lui aussi de second choix. Le vernis très fin et sec a taché le bois.

Le chanfrein de la volûte est très large et s’applatit au bouton. Les becs d’éclisses sont joint très à l’intérieur du C. Les bords sont irréguliers et dépassent fort des éclisses. Les corps d’ff sont taillés en chanfrein. Les voûtes sont particulièrelent plates.

 

François Hipolyte Caussin à Neufchâteau

Ces instruments ne sont aujourd’hui pas considérés comme dits “de fabrique”. Cependant sa production

impressionante et la diversité des modèles utilisés font immanquablement penser à une forme d’industrie.

Depuis le début du XVIIIème siècle, les paysans lorrains fabriquent durant l’hiver des ouvrages en dentelle (les femmes) et des instruments de musique, principalement des serinnettes et des violons. Au cours du XIXème siècle cette main d’oeuvre saisonnière s’est petit à petit éloignée des champs pour devenir ouvrière, ce dont François H. Caussin aura probablement pu profiter.

 

François Caussin père de F. Hipolyte, naît à Rouvre la Chétive en 1794 dans les Vosges. Il fait son apprentissage chez Jules Gaillard, s’installe d’abord dans son village natal en 1815 puis se relocalise à Neufchateau quelques années plus tard. Il meurt en 1866.

 

François Hypolite naît à Rouvre la Chétive en 1830 et fait à son tour son apprentissage chez Jules Gaillard.

Il reprend l’entreprise paternelle et meurt à Neufchateau en 1898.

 

Violon, fin XIXème. Bien que la production de cet atelier comporte toute sorte de modèles, ce contour

est assez récurrent. Les modèles contour/ff sont souvent interchangeables. Ce violon possède des

voûtes “à la Stainer”. Le vernis est fin et sec, souvent brun orangé sur un beau fond de bois. La patine est très prononcée. La tête semble souvent plus noire, avec un chanfrein et une arrête un peu trop poncée sur le devant.

Sur ce modèle, le filet est posé sur le point le plus élevé du bord.

 

Jérôme Thibouville-Lamy à Mirecourt

En 1834, Charles Buthod, élève de Vuillaume, revient à Mirecourt et crée la première fabrique industrielle de la ville. Elle compte 12 ouvriers en 1836 et vend en France et à l’étranger. Sa production est de 850 instruments par an. En 1839,

Charles Buthod ouvre un magasin à Paris. En 1857, Jérôme Thibouville devient copropriétaire de l’entreprise. Il n’est pas luthier mais le fils héritier d’une famille possédant une industrie d’instruments à vent dans l’Eure. En 1861, Jérôme Thibouville se marie avec la nièce de Buthod, Marguerite Lamy.

En 1864, la firme rachète le fabricant de cordes Savaresse et se lance dans une production “fordiste” (mécanisation et

division du travail) de violon très bon marché. La société JTL édite son premier catalogue avec entre autres, 21 modèles de cello, 48 modèles de violon, et 28 modèles d’archets vendus à la douzaine. Les catalogues sont imprimés en francais, anglais, espagnol et russe.

JTL possède quatre fabriques dans diférentes régions: vents en bois, vents en cuivre, cordes et instruments à cordes (basée à Mirecourt et Poussay pour les accessoires).

Cela représente, en 1872, 240 ouvriers dont une soixantaine à Mirecourt.

En 1893, JTL possède des magasins à Paris, Londres et New-York.

En 1894, un des actionnaires quitte la firme. En pleine crise, JTL réduit les effectifs et passe de 111 ouvriers à 68 en une vingtaine d’années. Pendant cette période, JTL s’efforce de tenir l’entreprise à flot en investissant dans la qualité, notamment en offrant des formations à ses chefs d’atelier dans de grandes maisons françaises ou en changeant de direction. Sans succès. La marque disparait peu avant les années '30.

 

A quelques exceptions près, la maison JTL privilégiera le modèle Strad, comme sur cet exemple. Les voûtes sont gauffrées sous presse, ce qui est détectable à l’espace laissé entre la table et les tasseaux à l’intérieur. Les arrêtes des bords et chanfreins sont francs et bruts de ciseau ou de canif.

Le vernis peut être plein ou patiné, avec une apparence un peu “plastifiée”.

La finition est oubliée et de nombreuses traces d’outil restent visibles. Certains violons ont encore des traces

du débit à la machine sur la tête ou les éclisses. JTL utilise principalement des touches et accesoires en fruitier teinté à la place de l’ébène. Cependant ses plus beaux exemples se rapprochent fort de Caussin, tant dans le travail du bois que dans les techniques de patine. Des ouvriers auraient aisément pu passer d’un atelier à l’autre.

 

Références:

Ingles & Hayday, https://ingleshayday.com/makers/neuner-hornsteiner/

Arian Sheets, https://www.thestrad.com/lutherie/markneukirchen-the-rise-and-fall-of-germanys-first-violin-

factory/13385.article

Eric Blot, Liuteria Italiana Vol. IV "Piemonte".

Roland Terrier, https://www.luthiers-mirecourt.com/

 

Les violons photographiés appartiennent à Jan Strick.

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